« Oui, tout est possible en France, pour le meilleur comme pour le pire. »

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  • Tu fais quoi dans la vie ?
  • Je me suis spécialisé dans la polyvalence et dans le paradoxe
  • C’est-à-dire ?
  • Je suis à la fois doctorant et chômeur
  • C’est possible d’être à la fois étudiant et chômeur ?
  • Oui, tout est possible en France, pour le meilleur comme pour le pire.

 

 

Bonjour, j’ai 28 ans et je suis un doctorant, autrement dit un futur chercheur qui cherche déjà à joindre les deux bouts alors que je n’ai pas encore le statut de chercheur. Depuis 2008, je fais des études universitaires pour être enseignant-chercheur, mais plus ça va, plus je me dis que le système de société dans lequel nous vivons se moque bien des projets et des rêves que l’on a dans la vie et que je me suis embarqué dans une aventure qui devient de plus en plus incertaine voire périlleuse.

 

J’ai connu la vie d’étudiant boursier pendant trois ans, durant les années de la licence de lettres modernes que je préparais, jusqu’en 2011, jusqu’à ce que je ne puisse plus toucher d’aides. Pendant les deux années qui ont suivi où j’ai fait un master en français langue étrangère, comme beaucoup d’autres étudiants dans ma situation, j’ai dû commencer à travailler pour financer mes études. Etant donné que mes études sont destinées à être enseignant (même si le but final est d’enseigner à l’université), j’ai fait ce qui s’offrait à moi et qui était le plus logique : j’ai commencé par donner des cours de soutien scolaire à domicile avec des structures extrêmement humanistes et équitables vis à vis de leurs employés plus ou moins temporaires telle que Acadomia. J’ai fait ça pendant deux ans, même si j’étais lassé par le douloureux sentiment de me faire gentiment exploiter, d’être littéralement payé au lance-pierre alors que je passais des heures à préparer les cours pour mes élèves ; le ratio travail fourni / salaire versé n’était clairement pas équilibré.

 

Une fois mon master en poche, j’ai voulu faire une pause dans mes études et commencer à travailler dans mon domaine professionnel, c’est-à-dire à trouver un poste de professeur de français pour étrangers. Je me suis donc inscrit à Pôle Emploi, ne comptant pas que sur la structure pour être la réponse à mon problème, j’ai cherché du travail pendant des mois sans ne rien trouver, examinant les quelques offres d’emploi que mon conseiller Pôle Emploi me donnaient – et qui n’étaient souvent pas dans ma branche – et postulant à toutes les offres que je trouvais partout où je pouvais chercher. Le temps passait mais je ne trouvais toujours rien, les quelques économies que j’avais réussies à faire s’étaient volatilisées et pour la première fois de ma vie, j’ai été bénéficiaire du RSA. J’ai vécu avec ce revenu de base pendant quelques mois, essyant de ne pas culpabiliser et de ne pas me sentir comme un raté, avant de réaliser que faire cinq ans d’études pour être bénéficiaire du RSA, c’était quand même du gâchis et que je ne voulais plus me contenter d’être dans cette situation, même si je m’étais dit qu’elle serait passagère.

 

Je n’arrivais pas à trouver du travail en France mais j’avais la chance d’avoir un diplôme qui était ouvert sur l’international, qui me permettait d’aller travailler à l’étranger, et même si ce n’étais pas ce que je voulais faire immédiatement, je m’étais dit que c’était la meilleure solution qui s’offrait à moi. À la fin de l’année 2013, j’ai donc décidé d’aller vivre et travailler pendant un an à l’étranger ; j’avais trouvé un poste de chargé de mission pédagogique dans un institut français en Egypte. Le contrat était un volontariat international en administration (VIA) et j’étais donc un contractuel du ministère des affaires étrangères pour l’année 2014-2015, c’était le meilleur travail que j’ai trouvé depuis que j’ai commencé mes études.

 

À la fin de mon contrat en Egypte, même si l’expérience fut à la fois très intense et enrichissante, j’ai décidé de rentrer en France pour des raisons personnelles. J’étais de retour à la case départ, même si j’avais plus d’expérience qu’auparavant. Je gagnais bien ma vie en Egypte et j’avais réussi à faire des économies, en sachant que j’en aurais besoin quand je reviendrais en France. J’ai pu vivre avec elles pendant quelques mois, mois que j’occupais à chercher du travail comme je l’avais fait par le passé. Après avoir testé l’expérience des structures de cours de soutien scolaire à domicile, je me disais que je pouvais trouver mieux et je me suis donc tourné vers l’Education nationale : en 2015, j’ai été enseignant vacataire dans deux établissements. Cette expérience n’a pas été concluante ; j’aime enseigner mais je sais aujourd’hui que je souhaite enseigner à l’université et non pas dans un collège ou dans un lycée (j’étais presque sans expérience dans l’enseignement en collège ou lycée et j’enseignais dans des établissements difficiles, comme la plupart des jeunes enseignants).

 

2015 a aussi été l’année où j’ai décidé de reprendre mes études et de commencer un doctorat en sciences du langage, mais en m’inscrivant à l’université, l’administration m’a avertit trop tard que je ne pourrai pas avoir de bourse pour financer ma thèse alors que je comptais quand même dessus pour ne plus être préoccupé par l’aspect financier de ma vie comme je l’avais été par le passé. Je ne souhaitais pas abandonner mon projet de poursuivre mes études alors j’ai trouvé un poste d’assistant d’éducation (un intitulé technique pour dire pion) dans un établissement dans lequel mon contrat se termine aujourd’hui, le 31 août 2016. Cette deuxième expérience a été plus concluante que mon expérience comme professeur vacataire mais on m’a fait gentiment comprendre que je ne rentrais pas dans le moule de l’Education nationale et on n’a pas renouvelé mon contrat.

 

Pendant un an j’ai donc été à la fois doctorant et assistant d’éducation dans un collège, et même si je sais que je ne suis pas le seul dans cette situation, ce n’est pas facile à gérer tous les jours car le temps que l’on passe à travailler pour survivre n’est bien sûr pas utilisé pour construire ses projets de vie, pour faire en sorte de vivre et non plus de survivre.

 

Aujourd’hui mon statut a changé, j’ai gagné un niveau mais à l’envers ; je suis à la fois doctorant (je commence ma deuxième année en septembre) et demandeur d’emploi, c’est-à-dire que je suis à la fois censé passer la majorité de mon temps à faire mes recherches et à enseigner, et à trouver un travail pour justifier que je mérite de toucher l’allocation chômage à laquelle j’ai droit vu que j’ai travaillé pendant une année avec mon dernier contrat. C’est la première fois de ma vie que je me retrouve confronté à un tel paradoxe et depuis que j’ai fini de travailler à l’établissement où j’étais employé, une multitude de questions existentielles et d’angoisses germent et grandissent dans ma tête, s’infiltrent dans mon quotidien, occupent mes jours et mes nuits.

 

Je ne suis pas du genre pessimiste mais je trouve que c’est légitime, normal, humain, d’être angoissé quand on se pose des questions sur son avenir proche, questions auxquelles on n’arrive pas toutes à répondre car on ne sait pas comment les choses peuvent se passer. Est-ce mon statut de doctorant peut être combiné à mon statut de chômeur ? Est-ce que je peux toucher l’allocation chômage et prouver que je cherche activement du travail alors que je travaille déjà activement à faire avancer ma thèse, du mieux que je peux ? Est-ce que je serai amené à trouver un autre travail et à partager à nouveau mon temps entre emploi salarié et doctorat à l’université ? Est-ce que serais capable de faire ça à nouveau alors que ça a été très dur physiquement et moralement pendant un an ? Est-ce que je peux espérer avancer sereinement dans mes recherches de doctorant alors que je suis préoccupé par mon compte en banque, mon avenir professionnel, mon existence pour les mois et semaines à venir ? Est-ce que ce ne serait pas plus simple d’abandonner mon doctorat et de trouver un travail qui est dans mon domaine professionnel, comme j’avais fait quand j’étais allé en Egypte ? Si je ne trouve pas de travail en France, est-ce que je devrai repartir à l’étranger alors que ce n’est pas du tout dans mes plans ?

 

Je ne le cache pas, même si c’est encore considéré dans nos moeurs comme étrange ou bizarre d’aller voir quelqu’un, je suis suivi par un thérapeute depuis plusieurs mois pour faire en sorte que mes peurs, mes doutes, mes questions existentielles ne me paralysent pas dans mon quotidien, et qu’elles ne me donnent pas envie de me laisser sombrer et d’avoir des idées vraiment noires. Avec l’aide précieuse de ce thérapeute, que mes finances me permettent encore de consulter, j’arrive un peu à relativiser et à ne pas noircir le tableau, même si beaucoup d’autres questions existentielles sur notre existence comme individus dans le système de société dans lequel nous vivons peuplent mon esprit.

 

Je n’estime pas être parmi les plus malchanceux ou malheureux ; je n’ai pas encore d’enfants dont je dois assurer l’avenir, j’ai un toit au-dessus de ma tête et de quoi me nourrir, j’ai des parents qui peuvent m’aider un petit peu mais pas trop (ma mère a des soucis financiers et mon père touche une petite prime d’invalidité), j’ai des diplômes, j’ai un CV dans lequel il n’y a pas encore trop de trous, j’ai une petite amie qui m’aime et qui m’aide à me sortir de cette situation. De toute façon, l’idée n’est pas ici de comparer nos situations de galériens entre elles, comme aiment le faire plusieurs politiques et médias (le combat d’animaux est alors remplacé par le combat de pauvres), c’est de partager nos expériences et nos vécus pour s’informer, se parler, s’entraider, se rencontrer, avoir le sentiment de ne pas être seul dans son coin, à cogiter, ruminer, angoisser comme un diable, et avoir le sentiment de ne pas être seul à voir que le système social dans lequel on vit est de plus en plus inquiétant pour l’avenir et déshumanisant.

 

Est-ce que c’est normal de vivre dans une société qui ne fait pratiquement rien pour les étudiants dans ma situation ? Est-ce que c’est normal d’avoir un système universitaire qui n’est pas en mesure d’aider les doctorants qui ne sont pas boursiers ? Evidemment j’avais demandé à mon université s’il était possible de faire une demande de bourse bien que la date limite soit passée (je n’en avais pas été informé lors de mon inscription en doctorat), mais on m’avait clairement répondu que ce n’était pas possible.

 

Ces dernières semaines, j’ai l’impression d’avancer pratiquement seul face à un système dont les différents rouages, dont les différents acteurs sont plus des machines que des personnes. Je fais de mon mieux pour ne pas désespérer, trouver des solutions, avoir un appui auprès de mes proches et aller de l’avant mais j’ai l’impression de ne pas voir la fin de mes soucis. J’ai l’impression d’être un funambule qui ne sait plus très bien sur quel pied se tenir sur la corde raide, c’est plutôt désagréable comme sentiment, surtout quand on s’éfforce de ne pas lâcher prise et de ne pas tomber.

 

J’ai lu de nombreux témoignages sur le site qui m’ont beaucoup touché, je me suis retrouvé dans plusieurs d’entre eux, et j’ai eu envie de partager ma modeste aventure de galérien avec vous. Je suis conscient que nous sommes nombreux malheureusement à nous demander si nous arriverons à nous en sortir, autrement dit à nous sortir d’une situation où la vie est survie, d’une situation qui ne devrait pas exister dans une société dite juste et moderne, encore moins dans celle du pays des droits de l’Homme. Je suis persuadé au fond de moi-même que nous valons mieux que ça, que nous valons mieux que les aides financières qui nous font à peine vivre et qui trop souvent présentées comme une espèce de salaire des fainéants, des glandeurs, des assistés ou encore des parasites tels que nous, tout ça parce que nous n’arrivons pas à trouver du travail ou parce que nous pensons que trouver du travail n’est pas la seule et unique solution qui peut régler nos problèmes, qui peut faire que nos vies seront plus agréables à vivre, qui peut donner un sens à nos vies.

 

On vaut mieux que ça et j’espère de tout coeur que nous ferons en sorte que la situation évolue, que notre société devienne plus juste, équitable et tout simplement humaine. En tout cas, avec l’adoption de la loi Travail avec un ultime 49.3 et les conflits sociaux qui animent le pays, je me dis au moins que l’on aura l’occasion de se faire entendre et que l’on a tout à gagner, pour notre humanité, de continuer à échanger sur ce qui se passe dans nos vies, dans notre société, dans ce monde qui est le notre.

 

photo – cc by pexels

3 commentaires sur “« Oui, tout est possible en France, pour le meilleur comme pour le pire. »

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  1. Même si ça va paraître un peu brutal comme réaction, j’ai surtout le sentiment que certains enseignants ont pas mal vendu du rêve aux chômeurs actuels. Je me rappelle que les professeurs idéalisent le monde universitaire non pas comme une clé pour trouver un emploi, mais comme une fin en soi. La connaissance, le libre-arbitre, la culture. Tout ce dont le capitalisme ne veut pas.

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  2. Il existe des financements pour les doctorants mais pas de bourses. Ou alors, on me les a bien cachées (j’ai dû abandonner mes rêves de prof chercheuse pour devenir prof de collège à cause de ça car mes demandes de financements ont toutes été rejetées). Nous ne sommes pas suffisamment rentables pour qu’on nous finance, en Sciences Humaines. J’ai une scolarité sans faille. Seulement, je ne suis pas de la cuisse de Jupiter. Je ne pouvais pas même espérer payer mes droits d’inscription en doctorat. Ma mention très bien et ma position de major de promo en Master n’ont rien changé. Depuis, personne ne s’est demandé pourquoi j’avais quitté la fac tout-à-coup. Il faut dire que je n’y ai rencontré que des gens totalement déconnectés des considérations bassement matériel. Il faut ça pour chercher sereinement. Mais pas question de partager avec la nouvelle génération. Et si elle volait nos places !

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