« Pour le salaire… calme plat… pas de variation en 10 ans… « 

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De « vouloir servir son pays » à « totalement aigri »

On voit souvent l’expérience malheureuse des employés des entreprises du privé
exploités par des patrons qui auraient plus leur place au fond d’une cellule
(ou pire…) mais cette fois, je vais parler d’un univers moins connu

j’ai passé 10 ans à travailler pour l’état français et j’ai eu aussi mon lot de très bons
et de très mauvais souvenirs.

J’ai été affecté dans une grande base bretonne (je ne détaillerai pas pour d’évidentes
raisons de discrétions non seulement pour la sécurité de mes amis qui y travaillent encore et
aussi parce qu’il est de mauvais ton d’oser critiquer l’institution avec un grand I.

Mon environnement de travail est assez représentatif de la société française. J’ai côtoyé
toutes sortes de gens : de très bons collègues qui étaient aussi mes meilleurs amis et dont
le travail n’a jamais été mis assez en valeur, qui n’ont jamais été assez récompensés, qui
travaillent comme des esclaves sans le moindre espoir d’amélioration… certains croyaient
encore à ce qu’ils faisaient, mais pour ma part, après 4 à 5 ans, je me suis rendu compte que
mon enthousiasme ne servait à rien…

Au fur et à mesure des réformes débiles imposés par des ministres qui n’y connaissent que
dalle en stratégie ou en gestion des unités militaires, j’ai vu mes conditions de travail
se dégrader, mais j’avoue que les 3 dernières années de ma carrière étaient vraiment les
pires.

Les problèmes sont nombreux et de plus en plus graves.

Personnel :

Il est évident que le manque d’effectif a causé des ravages. Pour exemple, dans
mon unité, nous nous occupions d’avions bimoteurs pesant jusqu’à 30 ou 40T, pour d’obscures
raisons, nous sommes obligés de maintenir une permanence 24h sur 24. Nous autres
techniciens, étions répartis en équipes d’une dizaine de personnes environ… du moins
c’est la théorie car entre ceux qui partent en mission, ceux qui sont en repos avant ou
après service, ceux en formation, ceux en arrêt maladie…. certaines équipes étaient
réduites à 3 ou 4 personnes voire moins…

Les cadres :

ceux que je vais désigner de manière générique comme chefs de service,
chef de spécialité, chef d’équipe…
Comme dit plus haut, c’est un reflet de ce que l’on trouve dans le civil : J’en ai côtoyé de
très bons, dévoués, compétents, qui donnaient de leur temps sans compter et qui essayaient
d’encadrer et de former leurs équipes…

Malheureusement, j’en ai aussi rencontré de très mauvais : des incompétents (dont certains
à un tel niveau qu’ils ne devraient même pas avoir le droit de porter l’uniforme), d’autres
qui sont des frustrés de la vie avec un complexe d’infériorité maladif et qui compensent
en rendant la vie de leurs subordonnés impossible, des mecs qui aiment jouer à la gestapo
dans leurs bureaux ou qui sont des nostalgiques du KGB… des magouilleurs qui n’hésitent
pas à désobéir aux textes pour leur propre profit, des chefs de service ou du personnel
navigant qui au mieux se désintéressent de nos problèmes (t’as signé c’est pour en ch..r)
ou qui nous méprisent (une tradition remontant à Louis XIV, dommage de faire appel à des
trucs archaïques à l’heure du Rafale et du sous marin nucléaire)

Le rythme de travail:

pas pareil dans tous les organismes de ma base, mais ma dernière affectation en unité
opérationnelle était le summum, j’avoue. Pour mon dernier poste, j’assurais une partie de
la logistique de mon unité et comme je ne travaillais pas directement sur avion, moi et
mes collègues des fonctions dites de soutien étaient plus ou moins considérés comme des
fainéants ou des glandeurs (ce qui est totalement et complètement faux). Nous devons faire
nos journées de travail ainsi que des nuits de service (la permanence de 24h citée plus haut)
Théoriquement, et dans les premiers temps, nos services se déroulaient de la manière suivante:
nous étions présents à notre poste de 20h à 8h le lendemain matin, nous aidions pour fournir
les outils et les pièces nécessaires pour les vols de nuit). nous avions droit à une journée
dite de préventive et une autre dite de récupération, mais il y a un an, nos chefs
de service nous ont dit bah maintenant : les journées de service c’est 8h à 8h : soit 24h
de permanence oui, oui, 24h et pas d’heures sup payées, notre rémunération ne fonctionne
pas comme dans le civil… et pire, si les vols et les travaux associés s’arrêtent entre 0H
et 6h du mat’, on enchaîne à nouveau… ce qui fait plus de 32h de travail en 2 jours

Les moyens :

nous nous servons d’équipements de plus en plus vieillissants, fiables, mais l’âge est là
les pièces détachées manquent (certaines mettent 3 ans à arriver), les outillages sont vieux
et « tombent malade », ils sont pas remplacés suffisamment vite et je ne parle même pas des
nombreux vols (pour une année, près de 15000€ de préjudice au bas mot), des véhicules usés
jusqu’à la corde… j’en ai eu un avec la porte arrière qui se cisaillait en 2 depuis près de
3 ans et qui n’a pas pu être réparé et dont la porte latérale s’est décroché de son rail
pour nous tomber dessus.

L’évolution de carrière :

On peut résumer par « chantage au contrat » 3 mots qui résument bien. plus de problème,
de contestation… les opérateurs ont peur de se retrouver sans rien… avant de chercher à
partir d’eux même quand le ras-le-bol devient ^plus fort que tout.
L’accès aux grades supérieurs est d’une lenteur désespérante, conditionné par l’humiliante
« période de notation » qui se fait selon des critères absurdes et qui se fait à la tête du
client, ça fait très cour de Versailles avec le seigneur et ses courtisans qui se battent
pour les miettes… ah, tradition, quand tu nous tiens… il y a les lèches bottes,
les délations…
Pour le salaire… calme plat… pas de variation en 10 ans… comme il ne s’agit pas d’un
salaire mais d’une solde, elle est calculé en fonction de critères particuliers lors de
l’année de recrutement. Ce qui fait que des jeunes recrutés il y a 1 an touchent plus
que moi avec 10 ans !! ça fait drôle

les anecdotes :

un collègue se fait rouler dessus par un avion (un tas de tôles de plus de 26T sur le pied),
il s’en sort heureusement qu’avec une jambe cassée. Son chef de service pour tout réconfort
lui a donné une sanction disciplinaire

Un commandant d’unité a réputation sulfureuse a fait faire un atterrissage forçé à son avion
à mi-piste… malgré sa faute mis en évidence, il est toujours pilote (et a même réussi à
en endommager un autre nécessitant 3 semaines de travail pour réparer sa connerie)

pour ma part, avec le service du soir, lors d’un trajet de liaison à 2h du matin j’ai failli
finir au fossé avec mon camion à cause de la fatigue, je suis au boulot depuis la veille à 8h…
à part ça, « non, le service hors travail sur avion
est tellement reposant que 24h = 12h » selon mon chef de service

un collègue qui a tellement été humilié au travail a fait une dépression renforcé par
une tentative de suicide

Un autre collègue a été jusqu’à vouloir braquer son commandant d’unité avec un lance fusée
de 40mm tellement il en avait marre… il a réussi à se faire muter…

un 3e collègue a fait un craquage nerveux à tel point qu’il a fallu appeler les gendarmes
pour le calmer

un autre collègue tellement désemparé mais tellement exploité qu’il accepte tout de ses chefs
même le plus inacceptable.. je lui remonte le moral souvent car sinon il va me faire une
dépression sévère ou un burn out

(et tout ça en 6 mois, c’est géant)

Quand tu entends les autres techs dire de suspendre tout travaux quand les inspecteurs du CGA
équivalent armée de l’inspection du travail civil sont présent parce qu’ils savent qu’ils sont forcés de travailler pour « maintenir la cadence » en contradiction avec les textes de réglementations

Quand un abruti d’amiral trouve qu’on travaille pas assez !!!!!!

ç’est là que tu te dis que nous valons mieux que ça

je ne regrette pas de m’être engagé, je suis juste triste de voir mon institution comme ça,
c’est bien loin de celle que j’idéalisais quand j’étais enfant. Je souhaite pour tous mes
amis que ça change dans le bon sens, mais c’est mal parti

Un commentaire sur “« Pour le salaire… calme plat… pas de variation en 10 ans… « 

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  1. Cher Buffy,

    Je vois que nous sommes passés par les mêmes retords. Apparemment vous faites ou avez fait partie de la même institution que moi. Enfin presque, vous travaillez sur ce qui vole, moi je travaillais sur ce qui flotte :).

    Je suis aujourd’hui civil, après 7 ans de service. J’ai quitté il y a 3 ans et demi, et je dois dire que votre témoignage est courageux. Il n’est pas simple pour les militaires de s’exprimer. Entre culpabilité et peur de la délation et bien entendu par dessus tout ça, la peur de se retrouver sans rien,

    Je ne peux que me désoler, mais confirmer ce que vous dites. Comme on dit, déçu mais pas surpris. Il est en plus difficile pour les officiers mariniers de motiver les équipes de jeunes qui à l’heure du numérique savent très bien où ils en sont, et ne sont pas dupes.

    Bref, je ne sais pas si vous êtes aujourd’hui toujours dans l’institution, ou si vous avez « posé la casquette » mais quoi qu’il en soit je souhaitais vous envoyer tous mes voeux de courage et de réussite.
    Par dessus ça aussi, un message pour vous dire que ce que l’on vous dit là-bas est faux. Le civil n’est pas la fin de tout. Oui la reconversion est possible, certes pas toujours facile (pour ma part 3 ans et demi après je me vois toujours dire à des collègues que ce sont des « têtes de chats »)
    Ayant quitté second-maître, je suis aujourd’hui responsable business development Monde dans une boîte internationale. Je me suis expatrié également.

    Mais soyez sûr d’une chose. Votre carrière militaire est un exceptionnel bonus pour la vie civile. Ce n’est pas négatif, bien loin de là.
    Le monde civil aime ses soldats, aviateurs, marins, et savent respecter et reconnaître nos qualités intrinsèques.
    Vous allez tout casser dans le civil. Vous avez été habitué à l’excellence, à l’obéissance, dans le civil cela se transformera en travail de qualité, en respect, en promotion.
    Et tout vous paraîtra si facile. Vous avez tellement « ramassé » que vous êtes prêt à tout.

    Si les autorités militaires, Défense mobilité, et les autres, essayent de vous faire peur du civil, c’est parce qu’ils savent très bien ce qu’ils perdent, et savent très bien que vous allez vous rendre compte du plein potentiel que vous avez en tant que Militaire.

    Bon vent et bonne mer mon ami.

    Amitiés.

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