Famille VS Conseillère VS Psychologue

C’est en lisant tous vos témoignages que je me suis décidé à écrire le mien. Dans mon cas, je n’ai pas d’anecdote propre au milieu du travail, mais plus sur le plan personnel, parce que ça a eu un énorme impact sur ma vie professionnelle.

Il faut savoir que pendant toute mon adolescence, et une bonne partie de l’âge adulte, j’étais convaincu que je n’étais qu’un moins que rien. La faute à qui ? Mes parents. Parce que j’ai eu le malheur de leur dire, alors que j’étais au collège, que je voulais travailler dans le domaine artistique. Je n’ai jamais caché avoir été attiré par ce milieu, puisque j’ai appris à dessiner tout seul, sans l’aide de personne. Je savais dans quoi je mettais les pieds. Beaucoup de personnes ont essayé de m’en dissuader, mais venant de mes parents, c’était de la pure méchanceté. Du « ce n’est pas en faisant ça que tu vas gagner ta vie », au rabaissement permanent, ça passait par tous les stades. Et encore, je fais grâce de ce qui se passait à la maison, tellement c’était strict. De simplement réservé, j’étais passé à timide maladif en très peu de temps. Mais ils ont quand même cédé un peu de terrain, et c’est ainsi que je suis entré en section Arts dans un lycée. Malheureusement, la bataille des égos, aussi bien chez les élèves que chez les profs, a eu raison de ma scolarité. J’ai arrêté au bout de deux ans, démoralisé, et je suis entré en lycée professionnel, cette fois, pour faire plaisir à mes parents. J’ai eu mon diplôme, et ça, malgré deux ans d’une ambiance pourrie dans la classe où je me trouvais. Sauf que j’étais tellement épuisé nerveusement, aussi bien par les cours que par ma famille, que je n’ai même pas eu la force de continuer mes études. J’ai pris une année sabbatique, pour penser à autre chose, me ressourcer. A 18 ans. Ça commençait fort.
J’ai repris mes études après, remonté à bloc, pour obtenir un bac technologique. Une bonne ambiance durant 2 ans, de belles rencontres, et un diplôme obtenu avec mention. Mais l’entrée dans le monde du travail s’est faite dans la douleur : après plusieurs candidatures spontanées et réponses à des offres restées lettres mortes, je baissais à nouveau les bras. Le rabaissement de mes parents avait repris, et le pire, c’est qu’ils déformaient la vérité quand on demandait de mes nouvelles :
« –  Qu’est-ce qu’il devient ?
Il est à la maison, il ne fout rien. »
Je passais l’aspirateur, je faisais le ménage, la vaisselle, la lessive, à manger, je mettais la table, je la débarrassais, je repassais le linge, et accessoirement, je cherchais toujours du travail. Mais à part ça, effectivement, je ne foutais rien, oui. J’avais déjà un travail, à ceci près que je n’étais pas payé. J’étais un esclave. Sans oublier qu’ils prenaient tout le temps les décisions à ma place, sur n’importe quel sujet. Je n’avais pas voix au chapitre, aucune opinion, rien. Sans oublier les nombreuses autres crasses qu’ils m’ont fait.
Ce n’est que quand j’ai commencé à toucher le RSA que j’ai commencé à aller mieux : je me faisais plaisir, je m’épanouissais, je pensais de plus en plus à moi, je faisais du bénévolat dans une association, je faisais des projets… Si ce n’est que mes parents essayaient toujours de profiter de la situation. Par exemple, pour me demander un peu d’argent. Oui, à moi, qui suit au RSA, et qui ne touche pas des masses. Mais je suis gentil, je paye les factures, les courses, et malgré ça, ils trouvaient le moyen de me dire « de toute façon, c’est nos impôts qui payent ton RSA ». Une manière de me dire que je leur étais redevable parce qu’ils m’hébergeaient encore, allant jusqu’à casser du sucre sur le dos des personnes de l’association où j’allais, disant qu’ils m’influençaient dans mon choix, vu que je commençais à développer un bon caractère. C’est en effet bien connu que, dès que vous perdez l’emprise que vous avez sur une personne, c’est plus facile de chercher un coupable. Mais je continuais mon petit bonhomme de chemin, et décide de concrétiser un projet de longue date : effectuer une formation d’infographie.
RDV au Pôle Emploi, où je rencontre une conseillère enthousiaste face à mon projet (c’est assez rare qu’un conseiller comme ça existe pour que je le souligne). Grâce au book que j’ai depuis des années, où je classe tous mes dessins depuis l’adolescence, elle a donc pu attester que j’avais des compétences suffisantes et entame la procédure, me demandant de chercher une EMT (Évaluation en Milieu de Travail) afin de valider une partie du dossier. Sauf que là où j’habite, ça ne court pas les rues. Je ne réussis pas à en trouver, mais devant ma détermination, décide de passer outre et me prend RDV avec le psychologue du travail de Pôle Emploi, étape obligatoire. Et là… C’est le drame.
J’y suis allé motivé, plein d’entrain, mais j’ai vite déchanté : je n’ai même pas eu à ouvrir la bouche qu’il me dit d’emblée qu‘il ne validera pas mon projet, sous motif que je n’ai jamais travaillé, et que cette formation longue (10 mois) allait m’éloigner encore plus du monde du travail. Il faudrait savoir, là, j’ai deux sons de cloche différents. Quand je suis sorti du bureau, j’ai hésité entre ravaler ma rage, ou revenir sur mes pas et sauter par-dessus le bureau pour lui faire sa fête. Suite à ça, j’enchaîne un autre RDV, cette fois avec ma conseillère, dont la mine s’est décomposée quand je lui annonce la nouvelle. Elle s’absente un instant, et au bout de 5 minutes, j’entends des sons de voix animées venant du couloir. Conseillère VS Psychologue.

Au final, j’ai réussi à la faire, cette formation, après que la direction du Pôle Emploi ait pu attester de ma motivation et de ma bonne foi, et ce, malgré plusieurs avis défavorables dans mon dossier. J’ai eu mon diplôme, et depuis, je le fais fructifier. Il a suffi qu’un dessin fait pour mon frère soit posté sur un réseau social pour que les commandes affluent. Je n’ai plus eu de nouvelles de ma conseillère, si ce n’est un courrier pour m’annoncer qu’elle n’était plus chargé de mon suivi. Je vois mes parents au minimum : repas de famille, fêtes, décès, anniversaire, et ça s’arrête là. J’ai assez eu d’éléments toxiques dans ma vie pour m’y attacher encore. Il m’aura fallu 29 ans pour enfin être complètement épanoui, aussi bien personnellement que professionnellement.

Je n’étais même pas entré dans le milieu professionnel que j’en étais déjà dégoûté, et quand j’ai pris le risque d’y mettre un pied, je me suis aperçu qu’on vous pressait comme un citron pour trouver un travail au plus vite, quel que soit les conditions, et ça, même si vous avez déjà un projet. L’ironie dans tout ça, ce que je me suis découvert une passion pour la psychologie de l’être humain. J’ai toujours été curieux de savoir pourquoi, au lieu de vous soutenir, les gens ont tendance à vous enfoncer, pourquoi on formate les gens dès le départ, et on fustige ceux qui ont le malheur de sortir du moule, pourquoi ils sont mielleux en face et vous poignardent dans le dos dès qu’ils en ont l’occasion, pourquoi ils vous rabaissent sans arrêt, soi disant pour nous endurcir le caractère, pourquoi dès qu’ils ont fait une erreur, ils trouvent toujours n’importe quel moyen pour vous faire porter le chapeau de leur connerie… Vous voyez ? Ce genre de sujet. Je suis incollable là-dessus maintenant. J’ai développé une certaine méfiance vis-à-vis des gens à cause de ce que j’ai vécu, parfois à raison (trop souvent même), parfois à tort, mais grâce à ça, il est extrêmement difficile de me la faire à l’envers. Et Dieu sait qu’on a essayé. Et Dieu sait que c’est ce que la future Loi Travail essaie de nous faire.

On vaut clairement mieux que ça.

 

 

Illustration : CC-By Alexander Mueller

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