« Ce boulot n’avait aucun sens pour moi »

Sortie de l’université avec un master en poche en 2010, je n’ai connu depuis que la précarité, mon CDD le plus long est de 6 mois. J’enchaine les périodes de petits boulots plus ou moins intéressant et les périodes de chômage. En même temps sortir d’un master avec une dépression, un gros manque de confiance et un manque de perspective ça n’aide pas.

Pour ce qui est de mes mauvaises expériences au travail, j’en ai eu quelques unes, toutes différentes.

Lorsque je faisais de l’intérim pour une boîte de conditionnement, j’ai eu le droit à des remarques sur ma bêtise (à leurs yeux mon intelligence était inexistante) … Il faut comprendre que personne ne m’avait expliqué ce qu’il fallait faire sur le poste, visiblement je devais intuitivement savoir ce que j’avais à faire … par la volonté du saint-esprit peut être … et ce n’est pas faute de demander à un mec qui préférait parler barbecue avec la nana du poste à côté …

Sinon j’ai aussi pu me prendre des remarques suite à une mauvaise communication de la boîte d’intérim qui m’avait prévenue que je commençais à 5 heure du matin. J’arrive à l’usine et là personne ne m’attendait. Je commençais à 8h00 et je me suis fais engueuler comme du poisson pourri alors que j’étais là 3 heures en avance. Cette fois je ne me suis pas laissée faire, je reste un être humain, d’autant plus fatiguée de s’être levée à 4h du matin pour rien et d’être traitée comme une rebut (bête par dessus le marché) car elle fait de l’intérim et que dans la tête des gens avec lesquels je travaillais je n’avais aucune autre perspective d’avenir (dans cette boite, je n’ai jamais dit à personne que j’étais titulaire d’un master de biologie).

Pour les fêtes de fin d’année, j’ai été renfort en tant qu’hôtesse de caisse. Le boulot d’hôtesse de caisse est aliénant. Répéter toute la journée la même chose, en rêver la nuit tellement ton cerveau est abruti de répéter les mêmes mots toutes les 2 minutes … Le stress de ne pas faire correctement ton boulot, de faire perdre des sous à la boîte (brasser tant d’argent dans une journée me faisait flipper) et même si tu n’es pas soumis au même contraintes que les permanents, il y a le spectre des chiffres et des objectifs qui te guettent.
Et puis quand je faisais des boulettes, personne ne me le disait … alors je refaisais continuellement les mêmes boulettes puisque personne ne me corrigeais et je sentais un truc bizarre avec les gens avec qui je travaillais et je ne comprenais pas … C’est une autre intérimaire qui m’a parlé de ma boulette. Ni les hôtesses en CDI, ni la responsable, ni la sous directrice mais une autre intérimaire dont ce n’est pas le rôle (même si je l’en remercie). Ce n’est pas normal. Surtout que je suis quelqu’un de sérieux et qui se remet en question, si je fais une erreur, j’aime qu’on me le dise pour que je ne la refasse plus. Mais non plutôt laisser pourrir une situation. Quel est le but, je me le demande encore.

Et puis il y a cette question de sens. Ce boulot n’avait aucun sens pour moi, vendre à tout va et valoriser l’obsolescence des produits par des garanties et compagnie, travailler dans une démarche ultra capitaliste, concurrentielle et de consommation de masse me fait gerber.

Mais à un moment, j’ai vu mon compte en banque et on m’a proposé une « opportunité » de le remplir, il faut payer son loyer, se nourrir, faire réparer sa voiture alors j’ai accepté d’entrer dans cette logique parce que je flippais de ne pas pourvoir m’en sortir financièrement le mois suivant. Et vu mes idées politiques, j’ai même honte d’être entrée dans cette logique. Heureusement à côté je suis engagée dans le milieu associatif, j’y retrouve du sens.

Je pourrais rajouter d’autres trucs, j’ai été surveillante, oh excusez moi, assistante d’éducation (oui ça fait moins plouc …), j’ai fait du périscolaire (avec les habituels « vous êtes surqualifiée » mais on m’embauche quand même pour boucher les trous donc …), j’ai bossé dans les vignes, j’ai été animatrice de centre de loisir pour 50 euros la journée de 10 heures (sans compter le temps de réunion le soir), et enfin j’ai quand même pu exercer le métier qui me tient à cœur, éducatrice à l’environnement, sur des contrats ne dépassant pas les trois mois et sur certains postes avec des retards d’un mois sur le salaire, on avait beau contester, rien n’y faisait. Pour les postes permanents, ça engendrait beaucoup de souffrances car ces retards de paiements étaient permanents.

A côté de ça je suis quand même une précaire chanceuse, j’ai des parents qui m’ont hébergé jusqu’à il y a 3 ans et qui m’hébergeront encore si il y a besoin, ils m’ont fait économiser, j’ai réussi à me payer une formation pour me professionnaliser dans l’éducation à l’environnement, je ne sais par quel miracle j’arrive toujours à m’en sortir financièrement (et oui j’ai profité des indemnités chômages) et j’arrive même à me payer des paniers bio 😉 (comme quoi le bio est accessible à tous, petit message subliminal en passant). Et il faut le dire vivre à deux facilite les choses financièrement.

Mais cette vie précaire est fatigante, chercher du boulot sans arrêt me fatigue et me mine le moral. Les entretiens ratés (et j’ai de la chance, j’ai des entretiens !), les réponses négatives me font perdre ma confiance en moi.

Chacun des petits jobs que j’ai fait n’est pas valorisé ni valorisant et bien souvent aliénant et fatigant. La question de mon CV en gruyère revient à chaque entretien et je me sens humiliée de devoir justifier mon parcours. J’ai peur pour le mois suivant. Comment je vais faire pour vivre ? Je refuse de demander de l’argent à mon entourage et actuellement je refuse de toucher certaines aides comme le RSA et la CMU, c’est bête mais le regard des autres sur ma situation et la stigmatisation des gens qui touchent des aides me pèse …

Aujourd’hui j’ai 30 ans et je ne sais pas à quoi va ressembler mon futur. Je ne peux pas envisager de me poser, je ne sais pas ou je serai dans 6 mois, une relation amoureuse est compliquée quand on part à droite, à gauche pour du travail, on ne peut se poser, ni envisager d’avoir des enfants et de construire une vie de famille. J’ai laissé ces aspirations de côté.

Le pire dans tout ça, c’est que bien que très sensibilisée sur pleins d’alternatives, je reste persuadée par cette idée que ma réalisation personnelle passe par ma réalisation professionnelle. Je comprends que des gens finissent par abandonner et se laisser aller, tout ces soit-disant « assistés » sont peut être juste fatigués et à bout après un parcours souvent plus ardu que le mien, et ça personne n’essaye de le comprendre.

Il y a aussi toutes les remarques de mon entourage qui me blessent. Les « comment tu fais pour vivre ? » sous entendu, combien tu touches de la CAF ou tu vis encore au crochet de tes parents … mais non je me démène et je me contente d’un salaire mensuel pour vivre deux mois par exemple,

« ya trop de chômeurs, tous des assistés. Ah mais toi c’est pas pareil, tu cherches du travail »

bah j’ai plutôt l’impression que les autres sont en majorité comme moi et qu’ils cherchent aussi du travail ou alors qu‘on n’essaye pas de comprendre comment ils sont devenus des « assistés »,

« tu es trop idéaliste, on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie »

mais laissez moi essayer de réaliser mes rêves, merde, je veux aller au bout et ne pas avoir de regrets, déjà que je les mets pas mal de côté juste pour vivre, et dernièrement alors qu’on parlait de la loi travail

« le monde est comme ça, tu peux rien y faire »

ou sur Itélé on te claque que les jeunes de la génération Y sont habitués à bouger et à changer de boulot et que ca leur va …. qu’est-ce qui peut aller ? vivre au jour le jour sans perspectives, devoir déménager tous les 6 mois, ne rien pouvoir construire de durable dans le temps, devoir se résigner …

Non je ne suis pas d’accord avec tout ça et je veux le faire savoir ! Ça ne va pas ! Et la loi travail va juste faire enfler cette précarité et traiter toujours plus les travailleurs comme des variables ajustables tout juste bonne à se fatiguer et à jeter pour un salaire toujours plus bas.

Si l’avenir qu’on me propose est la suite identique de ce que je vis actuellement, je peux dire que je n’en veux pas ! Je veux vivre dignement et je veux un avenir pour mes hypothétiques enfants que je n’aurai pas si les choses continuent dans ce sens.

Tout ça est un peu brouillon, je suis partie un peu dans tous les sens …
Je reste une bisounours qui croit qu’un avenir plus juste est possible et que l’imagination humaine pour créer un système bienveillant au niveau social, environnemental, économique est illimitée !

Mais faut se bouger le cul contre ce système et cette loi créant de la précarité et de l’injustice ! FIGHT !

 

image via www.flickr.com

4 commentaires sur “« Ce boulot n’avait aucun sens pour moi »

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  1. « je refuse de toucher certaines aides comme le RSA et la CMU, c’est bête mais le regard des autres sur ma situation et la stigmatisation des gens qui touchent des aides me pèse »

    Je pense que c’est un bon point de départ de commencer à se déculpabiliser de recevoir le chômage, le RSA ou les aides de la CAF. Ce stigmate d' »assisté » est une pure construction idéologique qui voudrait faire correspondre notre utilité sociale à l’emploi qu’on a. Or comme tu le remarques bien dans ton témoignage, les petits boulots qu’on fait pour subsister s’inscrivent souvent dans des démarches de bullshit consumériste et nuisibles pour l’environnement, pour des salaire qui s’avèrent être souvent les mêmes que les aides au final (mi-temps ou quelques jours par mois, au SMIC).

    Donc, ne vaut-il pas mieux toucher les aides et libérer son temps pour se consacrer aux causes qui nous chères, travailler (mais pas être employé) pour être utile socialement, ou bien continuer à gagner des salaires de misère en faisant des tâches qui vont à l’encontre de nos convictions juste parce que c’est vu comme étant « normal » ?

    Les aides sociales sont une chance énormes en France mais évidemment on veut nous faire croire que c’est la honte de les toucher. Si les gens tourneraient ça de façon positive et verraient que ça leur libère du temps et des tâches stupides, peut-être que des idées comme le salaire à vie ferait plus rapidement du chemin.

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  2. Courage ! Sortie avec DEA (bac +5) en poche en 91, même dépression après accumulation de CDD sans pérennisation possible, même espoir de changement de système… Voter Mélenchon en 2017… Entre autres.

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  3. Bonjour à tous, je travaille pour le mensuel Ensemble, journal d’actualité sociale des syndiqués de la CGT. J’ai parcouru les nombreux témoignages publiés sur le site et lu avec intérêt le vôtre. Je cherche des jeunes diplômés précaires qui accepteraient de témoigner, anonymement, de leurs galères de sortie d’étude : emplois en dessous de leur niveau de compétence ou sans rapport avec leur formation, alternance de périodes de chômage et contrats courts… Je suis aussi intéressée par le témoignage de Véni qui a répondu le 2 novembre. Merci à vous.
    Cyrielle Blaire
    contact : cyrielleblaire (a) yahoo.fr

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  4. Moi aussi je travailles en tant qu’interimaire dans un service de conditionnement a l’usine
    horaire 5 13H ou 13 21H
    Sauf que comme il y a « moins de boulot » parfois on fais moins d’heures et resultat pour un mois (sachant que chaque jour on a 2 pauses de 20 minutes non remunuéré) je ne totalise que environ 130 heures, donc je suis crevée, je dois « deviner » la plupart du temps comment mettre tel ou tel produits dans les cartons ou la quantité a mettre, mes collegues qui n’osent plus respirer quand le chef est là et me « reproche » d’avoir parler (pour mettre un peu une bonne ambiance car 8 heures a se regarder dans les yeux sans parler dans un boulot a la chaine non merci)
    bref je compte mes heures avant de pouvoir me barrer!
    le bonus? je souffre d’une maladie qui fais que chaque jour je souffre physiquement (parfois je suis obligée de prendre de la morphine pour supporter la douleur mais j’évite je pense a autres choses et je supportes) et qui m’épuise
    j’envisage cet été une dernière grossesse, mais je suis a bout physiquement et si fin mai je n’ai pas comptabilisé le bon nombre d’heures pour avoir une formation qui me plait rémunérée il faudra m’envoyer a l’hôpital psychiatrique je crois!
    Marre de ces boulots de merde, marre que en France quand une formation nous plait pour exercée un travail on « doivent faire des heures » pour bénéficier d’un financement (les études en sont donc pas gratuite ici? belle utopie!), donc « suporter » pendnat minimum 11 mois des abrutits (mais certains collegues sont top bien sur)!
    Je veux juste me barrer!
    mais j’ai renoncer, je crois que je commence a « accepter » d’etre coincée
    de toute façon entre mes enfants, les courses, le ménage, tous les papiers administratifs (on a a chaque mois), et ce boulot de merde
    je suis si epuisée que j’ai renoncée je crois a la moindre envie…
    parcours bac techno sms, fac psycho (aucun debouché), enchainement de petit boulot (pour payer facture avec mon fiancé qui est devenu mon mari et pere de nos enfants)
    j’ai juste le sentiment d’etre une looseuse, locatire hlm (tous notre entourage pro et voisins donc ni notre entourage famililae ni notre entourage amicale nous donne ‘l’impression d’etre des abrutit a etre locataire et de foutre l’argent par les fenetere ou pire d’etre depensier e se payer des vacances, ou des fringues et que en tant que parents nos enfants n’auront rien le jour de notre deces, ils ignorent tous de nos projets mais nc’est aps grave) avec un job de merde
    heureusment mes enfants et mon mari sont génial
    a 33 ans c’est triste…

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